Friday, July 31, 2009

La complainte du poète

Si de la complainte n'apparaissait le mystère,
Rien dans la symphonie des astres n'aurait été,
Du noir de l'univers au bleu frémissement de l'été,
De nos tristes amours, rien n'aurait émergé.

Si du gémissement du caroubier ne suppurait la plaie béante,
Du chant d'amour des grillons ne murmuraient les bruits,
Sombre merveille de l'existence inexistante,
N'aurait été l'obscur objet du désir fortuit.

Si du froissement de la mer la vie ne jaillissait,
De la plainte du vent, le chant du monde ne persiflait,
Abscons, obtus, sordide et froissé,
Alors, ni réveil ni écriture des accords intériorisés.

Le vent qui souffle dans les branches nouées,
Porte à mes lèvres la chanson du mal-aimé,
Diaphane faisceau de murmures magiques,
Musiques et brisures de chants cabalistiques.

Sur les gradins de l'histoire, beaucoup de dieux ont péri,
Dans les légendes du rêve perverti.
Rien de ce qui n'a été n'aura été obscur,
Mots barbares, flagellations du divers,
Nous nous sommes mis à la table du démiurge.

Jamais un hasard ne fera une oraison.
Tout n'est que foi et loi, ordre et raison.
L'intime gouffre de chaque pensée péremptoire
Me plonge dans des spasmes véxatoires.

Tout effort apporte son lot de misère, la richesse du monde insolent.
Trajectoire de l'innocence vers l'omnipotence,
Le jaillissement du génie épousera l'inconscient.
Il aura fallu inventer le divin pour supporter l'humain,
Le pousser dans les derniers retranchements du tragique destin.

©2009 Marwan Elkhoury

Friday, July 24, 2009

Les arbres de la mer

Je regarde les oliviers qui descendent la mer,
En rangs serrés, glorieuse armée devant l'éternel,
Partis à la conquête de l'inutile, vagues amères,
Ployant leurs branches dans l'immensité du charnel.

Ils noyaient l'océan de leur baume doré,
Et mêlant au suc noir le bleu tapis des flots,
Réfléchissaient la masse du monde sur ce froid mohair,
Et broyaient l'univers d'un long gémissement clos.

Les arbres lavaient leurs branches dans l'orgueil de la mer,
Leur regard dans les cieux, les pieds dans les coquillages,
Défiant les dieux et les gardiens du rivage,
Se riant du frel humain, de son bref mystère.

Je descendais les marches du temps vers les grands auvents,
Suivi comme une ombre des multiples questions du visible,
Ce foisonnement de roses et de jasmins,
Ce bouleversement de soies vertes et d'airs marins,
Ces tremblements de la main devant l'invisible.

Je t'accompagnais, toi, ô, la reine des dieux,
Toi, l'Athéna d'une Olympe morte,
Qui trônait sur ce monde du milieu,
Monde en pleine floraison, maintes natures tendues,
Régnant sur le lieu des figures déchues,
Fortifiant les coeurs faibles, épousant les âmes fortes.

Je ne pouvais que m'en approcher à distance,
Tant elle était elle,
Ne pouvant qu'endurer l'aveuglement de ses prestances.
La beauté de son aura brûlait mon faible coeur,
Les parfums portés par le vent des ailes,
Calmaient mes morsures mortelles,
Embaumant mon corps de mille extatiques sueurs.

Elle était la petite fille que je tenais du rêve,
Celle qui me guidait dans l'énigme du souvenir,
Me tenant la main pour me montrer la grève,
Moi, le seigneur latent sans devenir,
Le sourire du dieu enfant me soulevant au-dessus du rêve.

Sans elle, ni passé, ni présent ni même d'univers,
Ne pourraient troubler l'orbe du désespoir,
Ni arbres, ni ciel, ni terre, ni mer,
Ne seraient sans l'ombre du répertoire.

Temple de l'éternel bonheur, terme de l’éternelle beauté,
Me demandant si c'était là où il fallait vivre
Ou si ce n'était là où je devais mourir,
Qui de cette terre aride en faisait un paradis,
Ce pays que j'aimais et qui était tien,
Ce pays que tu aimais et qui était mien.

Les oliviers descendent sur la mer,
A l'aube des grandes manoeuvres millénaires,
Mêlant leur suc noir au bleu tapis fauve,
Ce foisonnement de roses et de jasmins mauves,
Ce froissement du miroir en plein désarroi.

© 2009 Marwan Elkhoury

Tuesday, July 21, 2009

À l'orée de ce siècle fini

À l'orée de ce siècle fini
Je regarde cet énième coucher de soleil
Les rouges des braises ardentes
Se mêlant aux roses des montagnes d'amarante.

Quand tous auront contemplé le siècle maudit,
Ils pourront pourrir en paix, eux aussi,
Après avoir été vu et vécus.

Moi, je repars, le cerveau ivre,
Ivre d'avoir trop vécu ce qui fut sans vie,
Me retrouvant lové dans ma splendide solitude,
Âme perdue sans les restes de mes amours autour,
Tout juste entouré de mes chiens et de mes fléaux.

Tout ce que j'aime se résume en un seul mot: la chute.
Mais j'aime mon époque car c'est probablement la dernière,
Jours agonisants avant que la terre ne s'assèche,
Gorges sèches avant que les flots ne l'envahissent,
Pieds brûlés que la terre anéantira de ses derniers feux,
Et que les hommes brûleront de leurs derniers amours.

Je n'ai cherché ni à escalader les monts
Ni à dégringoler les vallons,
Je n'ai recherché que la plénitude
Des mornes plaines et de leur mortel ennui.

Je voudrais tant encore une énième fois,
Ressentir le cri de l'amour avant de m'évanouir,
Oui, rien qu'une dernière fois avant que de mourir,
De savoir la fin si proche, ressentir cette joie.

© 2009 Marwan Elkhoury

Tuesday, July 14, 2009

Je viens voir l'ombre que je devins

Je viens voir l'ombre que je devins,
Par-delà l'aube du divin.
Je ne suis pas là où je suis,
Je ne suis pas là où je fuis.

Prêt à échanger vos réels
Contre un seul de mes rêves.
Un rêve est un rêve
Mais ce rêve est mien
Et ces réels rien.

Esclaves du bruit, taisez-vous !
Pour qu'enfin les bruits s'élancent
Et que des silences émergent le silence.

Les mots disent ce qu'ils disent
Mais disent encore et encore et encore
Autre chose que ce qu'ils disent.

Les mots disent les présages,
Ils disent les corps, ils disent la mort,
Ils disent la peur de l'orage,
Ils disent les larmes sur ton visage,
Et mon amour de toi que tu ne dis d'ores.

Ils disent des mots, des mots et des mots,
Toujours des mots,
Rien que des mots.

Ils disent les désirs et les rites,
Ils disent encore le silence
Et ma beauté de toi maudite.

J'aurais voulu goûter tous ces parfums
Qui restent collés à ta peau,
Comme ces grains de sable sur ton corps mordoré,
Pour qu'enfin passent un peu sur ma peau,
Qu'un peu de toi passe sur ma faim.

J'aurais voulu poser mon regard sur le tien
Mais je n'ai pas osé,
Tant ton regard était calme et convulsé le mien.

J'aurais voulu poser mes lèvres sur les tiennes
Mais je n'ai pas osé
Tant tes lèvres étaient douces et rêches les miennes.

J'aurais voulu poser mes mains sur tes mains
Mais je n'ai pas osé
Tant tes mains étaient effilées et les miennes déchiquetées.

J'aurais voulu, j'aurais voulu, j'aurais voulu mais
Je n'ai pas osé
Tant ton regard était loin et le mien broyé.

Dieu est grand
Si grand que personne ne peut l'atteindre.
Dieu est grand
Si grand qu'il ne peut personne atteindre.

Tout, ici-bas, a des relents de remugle,
De dégueulis et de vomissures
Je ne veux vénérer que les prostituées,
Que la laideur et le stupre,
Seules choses qui soient vraies
Dans ce monde si surfait.

Merci à tous,
À la beauté, au parjure,
Au péché, à la luxure,
À dieu, à l'azur,
Merci, je vous assure,
Merci à tous.

© 2009 Marwan Elkhoury

Saturday, July 4, 2009

Du principe d'incertitude

Le clair et l'obscur se rejoignent pour former
"la triste opacité de nos spectres futurs". (*)

Le poème est cette divinité suprême et inexistante
Suprêmement présente et réellement absente
N'existant que par le signe et par le rythme.

Il est là pour remplir le chaos de ses mots
Et créer, ex nihilo, un sublime fléau,
Qui soit sien bien qu'il ne soit rien
Pour se perdre dans les méandres des flots,
Les grands vides laissés par les dieux en fuite.

Silence ! le silence va au-delà des mots
Pour les faire disparaître ou les faire renaître.
Le visage rie ou pleure,
Les choses ne sont pas ce qu'elles sont,
Ni les mots ce qu'ils sont.

Les mots appellent aux mots pour s'enfuir,
Annoncer le sens pour s'en départir,
Ils annoncent la mort de la création,
Comme la création de la mort.

Sang, larmes, encre, cri,
Écriture et déroute, mystères des prophètes
Disparus, trahisons, échecs et bruits

Miroir, chevelure, parure, nudité,
Corps de la femme, monts et forêts secrètes,
Musique de la danse, astéroïdes, aspérités,
Le voyage, la mer, le ciel, le soleil et la terre,

Je sais l'horreur de l'être, le manque et l'absence,
L'être est partiel, le non-être, total,
La nostalgie de l'être jusqu'à son non-être,

Hamlet, le rêveur des noires merveilles du monde,
Hésite devant le crime,
Fait le vide autour de lui
Pour ne jamais jouir d'une solitude fatidique.

Vivant, je dis ma mort
Car mort, je ne pourrais plus dire ma vie.
Aux tranquilles désastres ne survit qu'une vaine agitation,
Aux rives du désespoir, on s'y plonge sans passion.

©2009 Marwan Elkhoury
(*) Toast funèbre, Stéphane Mallarmé

Thursday, July 2, 2009

Il faut oublier les mots

Je n'ai de cesse de parler
Le temps d'oublier
Avant de m'effacer
L'écriture de mon corps à travers mes peines
Le don de l'existence tragique,

Je n'ai de cesse d'écouter
Le temps de me rappeler
Avant de disparaître
La plainte des mourants dans les battements de mon coeur
Les chants de la musique mystique,

Je n'ai de cesse de chanter,
Le temps d'écouter
Avant de me perdre
Le son d'une guerre lointaine au-delà des plaines
Les bruits de fer sur l'asphalte caustique,

Je n'ai de cesse de boire
Le temps de me désaltérer avant de m'enterrer
L'eau-de-vie et le vin des coteaux,
Rêves de nuits orphiques,

Je n'ai de cesse de naître
Le temps de renaître avant de m'éteindre
Le cri du bébé à sa mère éplorée,
Rêves de libertés ludiques,

L'orage au loin gronde,
Les passants se pressent de rentrer
De peur d'être trempés,
De peur de s'être trompés,

L'orage se rapproche, sombre,
La rue se fait silencieuse,
Quelques oisillons sur les branches chantent encore
La nuit peu à peu tombe,
La pluie fait le vide, nettoie la rue et le monde

L'orage maintenant plus fort, tonne
Les feuilles des arbres à présent frémissent
Les fenêtres frappent et les portes claquent
Il est temps, il est temps
Pour moi aussi de rentrer et de m'enterrer,

Une petite fille, suivant son ombre,
Dans la rue, saute encore sur une corde,
Elle est gaie, d'une gaieté qui reflète son ordre
Ignorante du danger et des trombes

Et pourtant je n'ai de cesse
Je n'ai de cesse
De cesse je n'ai
Il faut oublier les mots

©2009 Marwan Elkhoury