La ville. Quelle ville ? Petite, dense, laide, certes, oui, laide, bien laide, sauvage, nauséeuse et nauséabonde. Quelle est cette ville que je ne reconnais plus mais que je reconnais ne pas reconnaître. Je l'ai connue mais ne peut me remémorer quand, comment et ce quoi que je connaissais mais ne peut reconnaître à nouveau. Chaque fois que je mets les pieds dehors, je me perds. Tout change. Des quartiers entiers sont rasés, démolis, défigurés. D'autres émergent des ruines, des hommes fouinent dehors comme des rats, à la recherche d'objets familiers, des cahiers, des draps, des casseroles, des habits, des billets de banque, et ne trouvent que poussière et détritus, fers tordus, amas de pierres ou de parpaings. les rues ont disparu. A la place, des monticules de pierres, d'objets animés inanimés, des lambeaux d'habits, des tissus élimés. L'atmosphère est irrespirable. Mes pas sont lourds. Mes yeux pleins de poussière. Mes poumons étouffent. Allez. Peut-être qu'en faisant un effort, en pensant fort, en y pensant et repensant pendant longtemps, pendant longtemps encore, peut-être pourrais-je construire ou reconstruire ce que je reconnais ne pas reconnaitre mais avoir connu un jour et qui a disparu de ma mémoire, reviendra sûrement car rien ne s'efface, non, rien, depuis les temps immémoriaux, sont là, quelque part là, logés à une autre enseigne, je ne sais où, tout est là, mais il faut le chercher pour le trouver, ou le trouver pour le chercher. Indice par indice, signe par signe, objet par objet, du hasard à la nécessité du signe et de l'objet. Où est la ville ? Quelle est cette ville ? Je sais qu'elle existe. Elle existe car je sais qu'elle existe. Il suffit que je la pense pour qu'elle soit et qu'elle ait été. Je la devine, je la sens. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Là, proche, lointaine, hautaine, vague, perdue, retrouvée dans les ruines, parmi les pierres qui s'amoncellent, je la reconstitue, pierre par pierre, il n'y a pas de cartes, il n'y en a jamais eu, sans plans, sans pans. Elle s'est faite, défaite et reconstruite, comme cela, sans plans, sans vision. Regroupe des êtres hétéroclites qui s'assemblent sans s'aimer ni se ressembler. Un jour il y aura, un jour il y a eu, non pas une ville mais deux villes, mais trois, quatre, une infinité de villes, de villes dans la ville, chaque rue étant une ville dans la ville, chaque balcon, chaque appartement, chaque chambre, une ville dans la ville, chaque être ou n'être-pas, une ville dans la ville. Entre la ville et la ville, un abîme, deux ou plusieurs les séparent, des rochers, des récifs, des mers, des montagnes, des précipices innommables, insondables. Etroits d'abord, qui, peu à peu, s'élargissent pour devenir des mers, des océans, habités par des mammifères marins, terrifiants, terrorisants, assoiffées d'eau, de bleu, de soleil et de sang. La ville, comme l'univers, en expansion permanente, intégrant de nouveaux espaces tout en se désintégrant au fur et à mesure de son expansion.
On pourrait y vivre. On y vit. On n'y vit pas. Quelques uns mais pas tous. Pas partout. Pas sur toute la ligne. On y survit. Jour après jour, nuit après nuit, heure après heure, minute après minute, seconde après seconde, quelques instants furtifs. Certes. On y meurt surtout. Une ligne qui se déplace aux grès du vent, des jours et des nuits, des victoires, des échecs et des trahisons, des abandons et des poursuites. Ville-dédale, ville-dépôtoir, ville-ordure, ville-pute, ville-terrain de jeux de petits enfants trop mûrs pour leur âge qui jouent dans la cour des grands avec des armes empruntées à leurs papas, ville-chicane. Des garçons en armes qui jouent aux cow-boys et aux indiens dans les rues de la ville. C'est la guerre. Grâce à la guerre. La ville comme champ de bataille et comme chant de gloire. Des rues, noyées de pluie, de poussière, de bruit, de saletés, de détritus, de gravats, de sacs de sables, d'obus, de voitures calcinées, dont il ne reste que carcasses rouillées, de corps criblés de balles, noircis, brûlés, gonflés, putréfiés, crucifixions héroïques et inutiles. Dès qu'on gratte ou qu'on fouille la couche de terre, on retrouve les vestiges de villes similaires à la nôtre, partagée, brûlée, ville dans la ville, abîmes, rochers, récifs, mers, montagnes, précipices innommables, insondables, abîmes devenus mers, océans habités par des mammifères assoiffées d'eau, de bleu, de soleil et de sang. Et si l'on gratte encore et encore et encore, on retrouve, couche après couche, ville après ville, villes après villes, abîmes après abîmes, rochers, précipices, mers et océans, ad infinitum, ad nauseum. Lumières de la ville, étoiles, phares, soleils. Absurde. Il y a encore des vies, ici ou là. Inutiles. Encore. De moins en moins. Tout s'éteint. L'obscurité éteint la lumière, une balle trace la ligne de l'obscurité à la lumière. La guerre ne s'arrêtera jamais, sauf si, sauf quand toutes les lumières s'éteindront d'elles-mêmes ou aidées par une main amie, de plus en plus faible, jusqu'à disparaître. Dans le noir, la peur de soi, des autres. La lumière fut la guerre. L'obscurité sera la paix.
© 2009 Marwan Elkhoury
On pourrait y vivre. On y vit. On n'y vit pas. Quelques uns mais pas tous. Pas partout. Pas sur toute la ligne. On y survit. Jour après jour, nuit après nuit, heure après heure, minute après minute, seconde après seconde, quelques instants furtifs. Certes. On y meurt surtout. Une ligne qui se déplace aux grès du vent, des jours et des nuits, des victoires, des échecs et des trahisons, des abandons et des poursuites. Ville-dédale, ville-dépôtoir, ville-ordure, ville-pute, ville-terrain de jeux de petits enfants trop mûrs pour leur âge qui jouent dans la cour des grands avec des armes empruntées à leurs papas, ville-chicane. Des garçons en armes qui jouent aux cow-boys et aux indiens dans les rues de la ville. C'est la guerre. Grâce à la guerre. La ville comme champ de bataille et comme chant de gloire. Des rues, noyées de pluie, de poussière, de bruit, de saletés, de détritus, de gravats, de sacs de sables, d'obus, de voitures calcinées, dont il ne reste que carcasses rouillées, de corps criblés de balles, noircis, brûlés, gonflés, putréfiés, crucifixions héroïques et inutiles. Dès qu'on gratte ou qu'on fouille la couche de terre, on retrouve les vestiges de villes similaires à la nôtre, partagée, brûlée, ville dans la ville, abîmes, rochers, récifs, mers, montagnes, précipices innommables, insondables, abîmes devenus mers, océans habités par des mammifères assoiffées d'eau, de bleu, de soleil et de sang. Et si l'on gratte encore et encore et encore, on retrouve, couche après couche, ville après ville, villes après villes, abîmes après abîmes, rochers, précipices, mers et océans, ad infinitum, ad nauseum. Lumières de la ville, étoiles, phares, soleils. Absurde. Il y a encore des vies, ici ou là. Inutiles. Encore. De moins en moins. Tout s'éteint. L'obscurité éteint la lumière, une balle trace la ligne de l'obscurité à la lumière. La guerre ne s'arrêtera jamais, sauf si, sauf quand toutes les lumières s'éteindront d'elles-mêmes ou aidées par une main amie, de plus en plus faible, jusqu'à disparaître. Dans le noir, la peur de soi, des autres. La lumière fut la guerre. L'obscurité sera la paix.
© 2009 Marwan Elkhoury
No comments:
Post a Comment